Les nouveaux symptômes du numérique
Né dans les années 1990, le numérique a provoqué une véritable révolution. Il a transformé le monde qui nous entoure et les relations avec nos proches. Internet et les réseaux sociaux constituent un instrument fondamental qui allège notre vie quotidienne, facilite les échanges et augmente nos connaissances. À ce formidable outil de recherche s’est jointe un « marché de l’attention »[1] qui se sert de notre dépendance pour mieux vendre ses produits. Notre temps et notre espace ne nous appartiennent plus. Nous avons été gagnés par l’accélération de notre monde[2]. L’usage compulsif des appareils connectés a provoqué des d’addictions nouvelles, le multitasking, des troubles de l’attention[3], les selfies et les story et les likes, l’inflation de l’égo … Comment interpréter ce nouveau paradigme à l’aide du discours analytique ?
Le titre choisi à l’occasion des journées de l’Envers de Paris et de l’ACF Île-de-France vient pointer une double lecture. D’un côté, « Les nouveaux symptômes du numérique » fait entendre les effets de l’ère digitale. C’est ce qui achoppe pour les êtres parlants depuis que ces usages ont révolutionné notre monde. Tout ce qui découle de cette nouvelle donne dans nos vies, tout ce qui nous accable en même temps que tout ce qui nous procure une satisfaction, si nous suivons la définition lacanienne du symptôme.
D’un autre côté, le numérique prend le statut d’un symptôme du malaise dans la civilisation. Ces appareils auxquels nous sommes appareillés — et cela bien avant l’ère digitale — ne sont-ils pas des prolongements de nos fonctions corporelles, comme le disait déjà Sigmund Freud ? : « Grâce à tous ses instruments, l’homme perfectionne ses organes-moteurs aussi bien que sensoriels — ou bien élargit considérablement les limites de leur pouvoir »[4]. Et s’ils prolongent nos fonctions corporelles, c’est qu’ils deviennent nos symptômes à nous. Se pose alors la question : « Est-ce qu’on acquiert un bien ou est-ce qu’on se fait prendre dans un système qui nous dévore insidieusement à notre insu ? »[5].
Dans cette Journée de l’Envers et de l’ACF Île-de-France, le 9 décembre prochain, nous serons amenés à explorer ce passionnant sujet sous différentes facettes. Qu’est-ce qui change dans la rencontre amoureuse « sous algorithme »[6], quelles sont les nouvelles sublimations du numérique, de quelle façon l’intelligence artificielle s’introduit dans la société, de quoi sera faite l’ère du Métavers, quels avatars pour l’image du corps lorsque nous sommes obligés de nous montrer sur un écran ? Jacques Lacan avait trouvé un nom pour l’espace crée par les objets de la science : l’aléthosphère, où se conjuguent altetheia (vérité) et sphaira (la sphère, le monde environant)[7]. L’ère digitale est devenue le nouveau théâtre de la vérité. Dans « Le triomphe de la religion », en 1974, il signalait déjà, à propos de la télévision, la dévoration des gadgets à laquelle nous consentions[8].
Jacques Lacan avait déjà entrevu l’enjeu délicat de la position de l’analyste en phase avec la société : « Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être l‘axe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui l’engage avec ses vies dans un mouvement symbolique. Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages »[9].
C’est cette fonction d’interprète que nous souhaitons rappeler, pour permettre à tout un chacun de “s’en passer à condition de s’en servir”.
Dalila Arpin
[1] Patino, B., La civilisation du poisson rouge, Grasset & Fasquelle, 2019. Le livre de poche.
[2] Rosa, H., Aliénation et accélération, Vers une théorie critique de la modernité tardive, Ed. La Découverte, 2014.p. 15. Poche.
[3] Desmurget, M., La fabrique du crétin digital, Paris, Points, 2020.
[4] Freud, S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1983, p. 38.
[5] Ansermet, F., Forestier, F., La dévoration numérique, Paris, Odile Jacob, 2021, p. 7.
[6] Duportail, J., L’amour sous algorithme, Ed. Goutte d’or, 2019.
[7] Cf. Lacan, J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 187.
[8] Lacan, J., Le triomphe de la religion, 2005, Seuil, p. 94-95.
[9] Lacan, J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
Le programme
9.00 – 9.30 – ACCUEIL
OUVERTURE : Alice Ha Pham
9.30 – 11.00 – « IA et modèles de langage »
Rosana Montani-Sedoud, Psychologue clinicienne, déléguée aux Cartels à l’ACF en Île-de-France.
Alexandre Gefen, Directeur de Recherche CNRS au sein de l’unité Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité (UMR7172, THALIM, CNRS / Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3), est historien des idées et de la littérature. Il est l’auteur de nombreux articles et essais portant notamment sur la culture, la littérature contemporaine et la théorie littéraire. Fondateur de Fabula.org, il a été l’un des pionniers des Humanités Numériques en France. Travaillant à l’adoption des outils de l’Intelligence Artificielle pour la recherche dans les sciences humaines et sociales comme à son examen critique, il coordonne le projet ANR « CulturIA », pour une histoire culturelle de l’IA. Dernières publications : Créativités artificielles (Les Presses du réel, 2023), Vivre avec ChatGPT (L’Observatoire, 2023).
Josiane Boutet, Sociolinguiste, Professeure émérite Sorbonne Université.
Discutants :
Caroline Leduc, Psychanalyste à Paris, psychologue clinicienne, Master professionnel de psychopathologie clinique (Rennes 2), membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Serena Guttadauro-Landriscini, Psychologue clinicienne, secrétaire de l’Envers de Paris.
11.00 – 12.30 – « À l’ère du numérique, qui parle ? »
Alice Ha Pham, Psychanalyste membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, déléguée régionale de l’ACF en Île-de-France.
Xavier de La Porte, Journaliste à l’hebdomadaire l’Obs, essayiste et producteur du podcast « Le code a changé » sur France Inter qui traite des questions que soulève le numérique.
Vilma Coccoz, Psychanalyste, membre de la Escuela Lacaniana de Psicoanalisis et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Discutants :
Laurent Dupont, Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, secrétaire de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Guillaume Libert, Psychologue clinicien, trésorier de l’Envers de Paris.
12.30 – 14.15 – PAUSE DÉJEUNER
14.15 – 14.30 – « Préambule aux instructions pour remonter une montre »
de Julio Cortazar
Une lecture de Alain Gintzburger
Comédien, metteur en scène, pédagogue
14.30 – 16.00 – « Nouvelles sublimations du numérique »
Cinzia Crosali, Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Gilles Mouillac, Psychanalyste et cofondateur de l’institution « Le Nom lieu » à Bordeaux.
Yasmina Salmandjee, Auteur indépendant et conférencière dans les nouvelles technologies.
Discutants :
Pierre Sidon, Psychiatre, Directeur de deux CSAPA à Paris et Champigny sur Marne, Psychanalyste membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Xavier Gommichon, Psychiatre, praticien hospitalier, ancien assistant spécialiste des hôpitaux, Psychanalyste membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
16.00 – 17.30 – « L’amour sous algorithme »
Soledad Peñafiel, Psychologue clinicienne, déléguée aux Cartels pour l’Envers de Paris.
Matthieu Jacquier, Diplômé de l’École Polytechnique en 1998, Matthieu Jacquier effectue ensuite un Master of Science à l’université de Stanford (USA), puis un master en administration des affaires à Sciences Po. Il se spécialise dans le domaine du produit et de l’innovation en devenant directeur marketing et produit chez SFR, puis directeur de l’innovation pour Coyote Systems. Il prend le virage du digital avec le groupe SNCF, en gérant d’abord l’innovation des nouvelles mobilités, puis en prenant la direction de la stratégie digitale du groupe en 2016.
En 2017, Matthieu Jacquier rejoint le groupe Meetic en tant que Chief Product & Customer Officer. Son rôle au sein de Meetic Group est de délivrer la meilleure expérience client à travers le management stratégique du produit, design, service client, CRM et des événements. Il devient CEO en mars 2019.
Discutants :
Dalila Arpin, Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, directrice de l’Envers de Paris, DESS de psychologie clinique et psychopathologie (Rennes 2), Master de Psychanalyse (Paris 8) et Doctorat de psychanalyse (Paris 8), autrice de « Couples célèbres. Liaisons inconscientes » (Navarin Ed.).
Fabian Fajnwaks, Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, Maître de conférences au Département de psychanalyse de l’Université de Paris 8, DESS de psychologie clinique et pathologique (Paris 5), doctorat de psychologie clinique (Rennes 2), doctorat de psychanalyse (Paris 8).
CLÔTURE : Dalila Arpin
*** COCKTAIL À PARTIR DE 17H30 ***
Inscriptions : https://enversdeparis.org/
* Pas d’inscriptions sur place *