Images / Visions,
Au-delà du visible
C’est sous ce titre que notre après-midi d’étude se tiendra le samedi 27 avril 2024 en direction du thème du congrès de la NLS, la New Lacanian School, « Clinique du regard », qui aura lieu à Dublin les 11 et 12 mai 2024.
Ce titre est à lire à partir de la barre que nous avons choisi de poser entre Images et Visions, conjugaison contemporaine de la schize de l’œil et du regard propre à Lacan. Voilà ce que nos deux invités, Peter Szendy et Clotilde Leguil, vont décliner : de la scène du monde contemporain devenue grand supermarché du visible à son versus, l’Autre scène, celle de l’inconscient qui se révèle dans l’expérience analytique.
L’extension du domaine du visible, produit par la science et la technique, semble aujourd’hui devenue infinie comme si le sujet moderne avait accès à la possibilité d’une vision totale. Le saut quantitatif qui en résulte, en termes de surproduction des images à voir, s’avère en ce sens exponentiel : pas moins de 3 milliards d’images seraient partagées chaque jour sur les réseaux sociaux [1]. Pour Peter Szendy, ce n’est pas là seulement la conséquence des avancées technologiques. Il reviendrait à la structure même du visible et, particulièrement des images, de se dupliquer. L’image, dans le fond, implique l’échange et, avec elle, une valeur d’échange transformant le monde en supermarché du visible et l’économie en iconomie.
L’envers de cette iconomie n’est-ce pas le Réel ? Celui dont elle ne veut rien voir ni savoir, celui des invisibles, objets déchets de ce grand supermarché du visible ?
L’envers n’est-ce pas aussi la voracité de la pulsion scopique à laquelle l’œil contemporain est livré, en le saturant jusqu’à le priver du battement nécessaire à la structure du visible ? Ainsi du visible à son au-delà, le spectacle du supermarché des images semble se révéler aveuglant, et le sujet aveuglé réduit à se faire objet vu échangeable.
L’expérience analytique pourrait, en revanche, nous éclairer sur ce que les sujets contemporains ne cessent pas de ne pas voir dans ce défilé incessant des images à scroller. Depuis le divan, la vision n’est, en effet, plus celle d’un sujet pris dans l’illusion d’une vision totale ni la vision d’une conscience rationnelle. Au contraire, comme le dit Clotilde Leguil, l’inconscient, c’est plutôt « le point aveugle de notre destinée [2] ». Du souvenir refoulé, qui revient sous l’effet de l’association libre, en passant par ce qui s’impose comme vision à un sujet vu par ce « donner à voir gratuit[3] » que sont les cauchemars ou, encore, les rêves, l’expérience d’une analyse s’avère être un consentement à ouvrir les yeux et au désir de savoir.
Virginia Rajkumar,
Déléguée régionale pour l’ACF en IdF
[1]. Sous la direction de Peter Szendy, avec Emmanuel Alloa et Marta Ponsa, Le supermarché des images,
Gallimard / Jeu de Paume, 2020, p. 14.
[2]. Leguil C., Aveuglement et consentement avec « Anatomie d’une chute », France Inter, Dimanche 18 février 2024.
[3]. Leguil C., Sartre avec Lacan. Corrélation antinomique, liaison dangereuse, Navarin / Le Champ Freudien, Paris, 2012, p. 278.