Événement

Gretel et Hansel et les Autres

Bord de plateau ACF IdF

8 Avr 2023

Que nous racontent-ils, Gretel et Hänsel au XXIe siècle ?

L’histoire que je vais vous conter s’est un peu déformée d’année en année car les mots changent avec le temps. Ils se bousculent, se cognent contre un point ou une virgule et alors une nouvelle phrase apparaît, une parenthèse disparaît, et l’histoire peut à nouveau se raconter. Il est d’ailleurs probable que vous la connaissiez en partie, mais l’important parfois est de savoir réécouter pour peut-être mieux apprécier Vous comprenez ? Un temps.

                        MENDJISKY, Gretel, Hansel et les autres

 

 

Où est-il, le modèle de l’être adulte ?

LACAN, L’Éthique de la psychanalyse

 

 

 

Hänsel et Gretel des frères Grimm réécrit par Igor Mendjisky devient Gretel, Hansel et les autres [1]! Dans cette version contemporaine, ce sont les enfants qui décident de se faire la malle. Et toc ! Il faut dire qu’ils vivent dans un pays sans saveur, on n’y cuisine plus, en guise de repas des gélules, le père est très riche, des parents bien occupés, la barbe ! Et de partir à l’aventure dans cette forêt hantée, qui fait frissonner, inconnue, avec aux trousses une enquête policière. Mais ne seraient-ce pas plutôt les deux petits fugueurs qui mènent l’enquête ? Dans la séparation d’avec l’autorité et le savoir parentaux, n’est-ce pas, pour le dire avec Freud, « un premier pas vers l’orientation autonome dans le monde » [2] que revêt le motif de la forêt dans le conte pour les enfants ? N’est-ce pas aussi aller interroger sa place dans le désir de l’Autre ?

Igor Mendjisky s’est beaucoup laissé inspirer par sa fille de sept ans pour la trame de son conte dont il avait en tête, avant tout, la forme, des sensations, l’envie d’un dessin animé…

Devenu père, ayant perdu le sien, jouant à nouveau avec ses enfants, à la hauteur de leur regard, laissant ainsi affluer les « écrans-souvenirs » de son enfance dans le temps présent de l’enfance de ses propres enfants, c’est « l’émerveillement », le temps de l’émerveillement qui l’interpelle et devient peut-être la boussole de sa pièce [3].  

Ici, nous sommes loin d’une marâtre qui négocie auprès du père, pour cause de profonde misère, l’abandon en pleine forêt de ses rejetons, et des ruses solidaires de l’amour filial face à l’adversité, afin de s’en sortir vivants l’un et l’autre. Non seulement ils y parviennent mais aussi reviennent-ils secourir leur père les poches pleines de trésors – et sans aucun reproche sur la violence de l’abandon ! On rêve ou on cauchemarde…

Deux siècles plus tard, le grand Autre, notamment parental, n’est plus à la même place dans la fiction du conte, mais les enfants, eux, continuent de courir leur risque de vouloir « pratiquement » en savoir quelque chose, de ce que nous autres sommes.  « Des malentendus » dès  l’origine et même encore avant d’être nés selon Lacan – « de traumatisme, il n’y en a pas d’autre : l’homme naît malentendu ». [4]

« L’idée de l’enfant qu’il y a dans l’homme, l’idée que quelque chose exige de l’homme d’être autre chose qu’un enfant, et que pourtant les exigences de l’enfant comme tel se font perpétuellement sentir en lui » [5], cette perspective psychologique est historiquement datée pour Lacan.  

En effet, il situe un point de bascule au moment de la révolution industrielle anglaise du début du XIXe siècle, avec son « je ne sais quoi de nouveau, d’ébranlant, voire d’irrespirable » [6] en relevant que le romantisme anglais va puiser aux sources de l’enfance. Il cite en effet cette formule du poète Wordsworth, « l’enfant est le père de l’homme » [7], que Freud avait reprise en son temps, pour la remiser au magasin des Antiquités. Difficile d’en trouver référence avant, citant cette fois-ci Pascal, pour qui parler de l’adulte, c’est exclure l’enfant, et vice-et-versa.

La psychanalyse, quant à elle, se situe encore ailleurs.

Il n’y a pas de paradis de l’enfance, ni de nostalgie à en cultiver, pas plus qu’il n’y aurait de stade de développement ou de maturité, à partir du moment où l’inconscient ne connaît pas le temps. La tension est tout autre dans « la pensée de l’inconscient », qualifiée, « Dieu sait pourquoi, de pensée adulte ». Elle ne l’est pas. S’il s’agit de suivre « l’arête véritable, l’arête dure, de la pensée de Freud », la référence fondamentale est l’opposition entre « processus primaire et secondaire »  la tension se situe entre « principe du plaisir et principe de réalité ». [8]

Freud accorde toute son attention au matériau des contes lors de son important travail sur le rêve, se comparant d’ailleurs au Rumpelstilzchen des frères Grimm avec sa découverte du Wunscherfüllung du rêve [9], mais aussi en montrant comment les forces refoulées entrent en tension avec le désir, par exemple dans les rêves typiques de nudité qu’il associe à l’enfance ; et il en trouve une illustration dans Les Habits neufs de l’Empereur d’Andersen.
Le roi est nu !

 

 

Nous en discuterons avec notre invitée Pénélope Fay, le metteur en scène et auteur Igor Mendjisky ainsi que son équipe artistique, le public, et tout particulièrement, espérons-le, avec les enfants qui seront majoritairement présents ce 8 avril au théâtre des Gémeaux à Sceaux, près la représentation de la pièce qui commence à 14 heures 30.

 

 

Élise Clément avec l’aimable relecture de Laurence Maman

[1] Mendjisky I., Gretel, Hansel et les autres, Actes-Sud-Papier, 2022.

[2] Freud S., Trois essais sur la théorie de la sexualité infantile, Paris, Gallimard, 1994, p. 123.

[3] À partir des différentes présentations du travail en ligne du metteur en scène.

[4] Lacan J., « Le malentendu », Ornicar ?, n°22-23, 1981, p.12. 

 

[5] Lacan J., Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, (1959-1960), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 33.

[6] Ibid.p.33.

[7] Ibid.p.33.

[8] Ibid. p.34.

[9] Correspondance avec Fliess.

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