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Événement

TROPIQUE DE LA VIOLENCE

Bords de Plateau Psychanalyse ACF IdF

12 Jan 2023

Entre le Mozambique et Madagascar, l’Océan indien et une île de l’archipel des Comores qui devient par achat une petite colonie sucrière française au courant du XIXe siècle. C’est Mayotte avec ses deux îles : Grande-Terre et Petite-Terre et sa superficie d’à peine 400 km2. Dans les années soixante-dix, le droit à l’autodétermination des peuples et à leur indépendance sous l’impulsion du Comité de décolonisation de l’ONU invite les habitants des Comores à se prononcer. Les trois plus grandes îles choisissent leur indépendance, tandis que les habitants de Mayotte choisissent de rester français, comme ils l’expriment avec plus de 99% des voix, lors du second referendum en 1976. Le droit international ne reconnaît toutefois pas l’indépendance de Mayotte – refus de la partition de l’archipel. 

Pour autant, la population mahoraise, qui choisit de rester française, va vivre dans l’incertitude quant à son statut pendant trente-cinq années.

Ce n’est qu’en 2011 que Mayotte obtient le statut de cent-unième département de France. Cette rapide mise en perspective dans un temps plus long afin de montrer la généalogie de l’archipel dont les habitants sont pour partie français, et pour l’autre comoriens. 

Aussi les maux de Mayotte s’égrènent-ils invariablement à chaque nouvelle flambée de violence ainsi : la moitié de sa population a moins de dix-huit ans, les « clandestins [1] » y vivent ségrégués dans des bidonvilles – le plus souvent venus d’Anjouan, de Grande Comore, les îles comoriennes voisines, mais aussi de Madagascar ou encore du continent africain – la pauvreté y est endémique et la violence chronique – dans « le plus beau lagon du monde[2] ».

Après y avoir vécu, Nathacha Appanah donne voix, à travers son roman polyphonique, Tropique de la violence, à cinq personnages. Lesquels, talent de l’auteur, incarnent chacun par son fantasme comme son point d’impossible, les problématiques brûlantes de l’île et les tentatives de réponse en retour. 

Qui-est ce qui bouillonne tout chaudement dans ce chaudron insulaire au lien social fragmenté par les épisodes de violence et la tension des discours ? C’est la jeunesse. 

Comme s’exclame l’émouvante Marie de la fiction, obsédée alors par son désir de maternité inassouvi, et infirmière dans l’hôpital qui accueille « la plus grande maternité [de France, celle de Mamoudzou] » : « Qu’ont-elles faits de leurs petits ? Les ont-elles laissés à un grand frère, un oncle, une tante ? Que deviendront ces enfants à l’adolescence ?[3]» C’est sur le passage à l’acte de Moïse – le fils adoptif de Marie venu sur un kwassa kwassa –,  après une errance « identitaire » que s’ouvre le bref et habile roman : « Je m’appelle Moïse, j’ai quinze ans et, à l’aube, j’ai tué.[4] »

Dans un dispositif habile d’allers et retours, chaque personnage, comme enfermé dans son monologue, examine ce qui de son destin a explosé en vol contre le récif de cette île. Le roman montre comment le lien social y est d’une grande fragilité et les difficultés rencontrées par les dispositifs, qu’ils soient éducatifs ou répressifs, là où la structure familiale fait défaut, pour endiguer la jouissance sans limite de corps d’adolescents sans grand appui symbolique. Qu’ils soient nés à Mayotte ou « de l’autre côté de l’eau[5] », la fiction nous montre des jeunes qui implosent avant même de prendre leur envol faute de pouvoir envisager un autre avenir que celui du bidonville ?

Comment ne pas entendre cruellement la formule lacanienne retentir : « De traumatisme, il n’y en pas d’autre, l’homme naît malentendu[6] ». 

Élise CLÉMENT

 

 

[1] Appanah N., Tropique de la violence, Paris, Gallimard, 2016, p. 56. 

[2] Appanah N., Tropique de la violence, op.cit., p. 121.  

[3] Ibid., p. 28. 

[4] Ibid., p. 34. 

[5] Ibid. p. 150.

[6] Lacan J., « Le malentendu », Le Séminaire, livre XXVII, « Dissolution », leçon du 10 juin 1980, Ornicar ?, n°22/23, printemps 1981, p. 12.

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